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Jean Couvrin

La pratique de la Vision Sans Tete par Jean Couvrin

Voici un extrait d'un texte de Jean Couvrin qui a bien connu Douglas Harding : Revue Voir. No 4 Janvier-Mars 1982, en ligne chez  nos amis du 3eme millénaire

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« La voie de la vision sans tête » présente notamment l’avantage d’éclaircir toute une littérature spirituelle, très riche et néanmoins confuse, qui se heurte sans arrêt à des notions déroutantes comme « l’œil intérieur », « la transparence de l’être », « le miroir de la conscience », « la vision de Dieu », « le visage intérieur »… Ces formules tentent d’exprimer la simultanéité du cheminement éthique (intériorité) et de l’éclairement du monde par une manière de voir différente (et très précise).

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LA VISION SANS TETE.

 

Parmi les voies, pratiques et disciplines qui se proposent de nous mener (ou de nous ramener) au bord de l’intuition métaphysique, la « vision sans tête » est particulièrement directe et surprenante. Le philosophe anglais contemporain Douglas E. Harding est l’initiateur de cette voie. Dans le prolongement de la philosophie éternelle, proche surtout du zen, du soufisme et de l’advaita vedanta, il nous réapprend à bien voir.

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Les voies les plus directes et les plus simples sont aussi celles qu’un homme qui n’est pas prêt s’empresse de rejeter au plus vite. En l’occurrence, on s’exclame sans tarder: « c’est simpliste! » De fait, la vision sans tête n’est pas efficace toujours et pour chacun. Il faut être sur le point de perdre la tête pour apprécier le sens et la richesse de cette « décapitation ». Sans doute, faut-il être prêt, suffisamment avancé dans le chemin de l’effacement du moi. Mais quiconque en est arrivé à sentir qu’il n’est rien (de ce qu’il pensait être), trouvera sans cloute une certaine joie à le voir. (Mais qui que vous pensiez être, ne reculez pas devant ces exercices de vision sans tête; vous êtes peut-être plus avancé que vous ne le croyez!)

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Tous les exercices nous ramènent à cette question simple et directe: vois qui  tu es, ici et maintenant. Ils tournent mon attention vers ce lieu où je suis. Ils dévoilent ce qui m’est actuellement donné, au Centre de mon univers.

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Voir. Du doigt, montrez vos pieds, vos jambes, votre torse, en observant que vous êtes toujours en train de montrer des choses. Maintenant, pointez le doigt vers votre « visage ». Observez simplement, sans mémoire et sans imagination. Votre doigt est-il réellement pointé vers une tête? N’est-ce pas plutôt un vide, une ouverture? N’êtes-vous pas un pur Espace, ouvert aux visages des autres, et, à l’occasion, à votre propre visage perçu dans un miroir?

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Les  yeux fermés. Fermez les yeux, rejetez toute mémoire et toute imagination. Vous sentez-vous limité, enfermé dans un corps comme dans une sorte de botte? N’êtes-vous pas plutôt comme un Espace — un Espace ouvert à des sensations, des pensées et des sentiments variés et changeants, un Silence pour accueillir les sons, une Capacité qui peut embrasser tout le champ de vos expériences?

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Pensées et sentiments. Arrivez-vous à découvrir la moindre pensée ou le moindre sentiment qui ne soit pas changeant et qui ne dépende pas du monde objectif? Y a-t-il quoi que ce soit de central et d’immuable, hormis votre Conscience, ce sentiment d’être, cette expérience du « Je suis »?

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DU BON USAGE DE LA « VISION SANS TETE »,

et probablement de toute autre « méthode »:

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LA PRATIQUE. 

 

La première vision (« sans tête ») de cette Réalité que nous sommes est la simplicité même. Elle ne sera opérante que dans la mesure où nous la pratiquons. Une pratique soutenue la rendra familière et permanente.

 

On lira avec profit le « Vivre sans tête » de D. Harding qui propose notamment des exercices plus nombreux et plus développés.

 

La première vision constitue une découverte joyeuse et surprenante; dans cette mesure, nous serons naturellement portés (fusse avec naïveté et maladresse) à renouveler l’expérience. (A cette époque, j’éprouvais un très vif plaisir à enfoncer ma « non-tête » dans une gerbe de fleurs; je ne regrette pas cette phase naïve. Mon fleuriste non plus!)

 

Passé le temps des premières découvertes, la répétition de l’expérience peut s’avérer plus délicate, voire inopportune. A mon sens, elle sera néfaste si, dans des dispositions d’esprit peu favorables, nous nous forçons à retrouver le « déclic » initial, au moyen d’exercices mémorisés et volontairement répétés. La vision sans tête ne se laisse solliciter que doucement, au moment où nous la sentons à notre portée.

 

Il est probable qu’à un moment donné, par amour même de cette vision, nous n’ayons rien de mieux à faire que de l’oublier, lui laissant la chance de ressurgir spontanément. Le ciel ne s’ouvre qu’aux indifférents — aux personnes attentives; souples, sans intention arrêtée.

 

Pratiquez, c’est-à-dire ne manquez pas les bonnes occasions de voir.

 

DU NON-ATTACHEMENT A LA METHODE.

 

Un jour, j’ai donc observé pour la première fois mon invisibilité à moi-même, et, par conséquent, le caractère fictif et hallucinatoire de l’idée qui fait que je me tiens pour un corps humain parmi d’autres corps humains, coincé dans l’humaine tragédie. Cette découverte suscitée par la « vision sans tête » me met en présence d’un fait massif, aussi réel que l’Empire States Building.

 

Mais ce fait d’expérience peut ne pas nous intéresser à tout moment. A certaines heures, nous pouvons ne pas être sensibles à l’importance du fait et à la richesse de ses implications. Bref, il n’a pas (ou, ce qui en pratique revient nu même, il ne semble pas avoir) à tout moment son pouvoir illuminateur. Même si les « illuminations passées » laissent en nous — comme je le crois — une sorte de foi souterraine, il y a à traverser de nombreuses heures de dénuement. Ainsi, en pratique, nous nous trouvons souvent renvoyés au monde et à la moins mauvaise manière d’y vivre.

 

Nous l’avons dit: il faut savoir renoncer à la « vision sans tête ». Le non-attachement à la méthode assure notre  nécessaire disponibilité à la totalité du vécu.

 

L’enracinement dans un « monde d’illusion » — celui de l’insatisfaction et de la santé incomplète — est notre seul enracinement. Nous devons à ce monde toute notre attention. S’il faut que ce monde soit dépassé, encore faut-il que le dépassement se produise, en quelque sorte, de lui-même. Dans quel piège irions-nous nous jeter si, sous l’influence de lectures religieuses, l’ego se mettait en tète de détruire l’ego!

 

Les heures où la vision semble hors de portée sont celles où l’on se retrouve confronté à la vie « ordinaire ». Les affrontements sont douloureux quand le moi se crispe, lorsque les mauvaises habitudes reprennent le dessus.

 

Mais nous sommes suffisamment avancés sur le plan spirituel: les crampes vont se dénouer et la confrontation au monde redeviendra attention au monde. Puis, la vision viendra de nouveau nous surprendre. Convenablement vécues, ces heures ternes ne sont pas des heures inutiles.

 

En d’autres termes, la Réalisation de soi nous apparait en fin de compte comme un processus unitaire. Nous doutons qu’il soit possible à tout moment de l’induire par la pratique systématique de l’un de ses aspects. Si la « Grâce » inclut toujours une sorte de vision, il ne semble pas qu’en toutes circonstances la vision puisse induire la « Grâce ». Mais, s’il existe de mauvaises raisons, comme la dépendance à l’égard des maîtres et des livres, pour quelle bonne raison irais-je solliciter la « Grâce » aux heures où je ne m’y sens pas porté?

 

Voir ou ne pas voir, c’est également bien, pourvu que  nous restions détendus, patients et attentifs. Ou bien je  vois, ou bien j’entretiens les conditions qui favorisent  la vision. Le reste ne m’appartient pas.

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Jean Couvrin

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